Zwé badminton
À Noël, les petits garçons recevaient des camions de pompiers ou des ballons de foot en cadeau tandis que les petites filles recevaient des zouzou menaz ou des raquettes de badminton. Les jours suivants, pendant qu’ils s'adonnaient à des matches de foot endiablés dans la rue, elles se laissaient aller à des parties de badminton, le plus souvent seulement pour passer le temps car les points n'étaient pas comptabilisés. Toutefois, en manque d’un partenaire de jeu, la sœur jouait parfois contre son frère et les partis étaient alors âprement disputés et se terminaient par des crises de colère et des larmes, et la raquette finissait brisée en deux dans un geste de dépit.
Dans la cour chez nous, il y avait une longue allée et c'est là que mes cousines qui habitaient la maison à l'arrière faisaient des parties de badminton. Parfois, la voisine d'en face venait les rejoindre et à ce moment la porte de la clôture ou la corde à linge où étaient suspendus des draps et des chemises tenait lieu de filet séparant les deux joueuses et au-dessus de laquelle elles faisaient passer le volant. Elles tiraient parfois une ligne au sol à l'aide d'un morceau de bois pour marquer les limites du terrain. À la fin de l'année, lorsqu'on coupait des bambous pour le grand nettoyage du nouvel an, on tombait souvent sur deux ou trois volants de badminton dans les haies. D'autres fois, on les retrouvait dans les fleurs, sur les arbres ou le toit de la maison, témoins des joutes qui avaient pris fin inopinément, suite à un geste maladroit d'un des joueurs ou un coup de vent emportant au loin le volant.
Le volant, c’est cet objet léger à l'allure d'un oiseau que l’on voit virevolter en l'air au cours des matches de badminton. Il est orné d'une tête souvent de couleur rouge en forme de bouchon de champagne et surmontée de plumes blanches qui freinent sa chute à la manière d’un petit parachute. Le volant est l’élément qui distingue le badminton des autres sports de raquette et il est absolument essentiel d'en avoir au moins un afin de pouvoir entamer un match. Lorsqu'on était petit, les plus grands nous disaient souvent: "Galoup enn coup al laboutik asté enn volant, nou joué badminton." Parfois, lorsqu’on ne jouait pas, on prenait le volant et le faisait voltiger à l’aide de la raquette, captivé par le bruit qu'il faisait à chaque fois qu'il retombait pour aussitôt rebondir. Et lorsqu’on assistait une partie de badminton, on était comme hypnotisé par le son répétitif que fait le cordage de la raquette lorsque les joueurs frappent sur le volant: 'Toup... toup... toup...", entrecoupé régulièrement par un 'fatiak' vif et sec d'un des joueurs effectuant un smash.
La popularité du badminton, surtout en tant qu'activité de loisir, peut s'expliquer par le fait qu’il ne nécessite pas de gros investissement en matière de matériels, un peu comme c’est le cas pour le football. Il suffit d’une paire de raquettes, d’un volant et d’un minimum d’espace dans la cour ou le jardin, dans le garage ou sur la terrasse. La plupart des grands joueurs ont commencé à jouer au badminton lorsqu'ils étaient enfants, quand leurs parents leur ont donné une raquette et les ont invités à aller jouer dans le jardin, dans l’idée que cela les occuperait en pratiquant une activité où, à première vue, c'est presque impossible de se blesser. La particularité du badminton est qu'on s’amuse et en prend goût dès la première partie car apprendre à renvoyer le volant correctement se fait facilement. Ensuite on commence vite à improviser, comptant le nombre d’échanges sans que le volant ne tombe par terre ou s’amusant à raccourcir puis à allonger les frappes pour déstabiliser son partenaire.
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Toutefois, si certains finissent par en faire leur passion, d'autres abandonnent en grandissant. Dans les cours d’école de notre enfance, il y avait rarement des courts pour jouer au badminton au point où parfois certains jeunes se retrouvaient à utiliser le terrain de volleyball pour faire quelques échanges entre amis partageant la même passion pour cette discipline. Certains gars se remettaient plus tard à pratiquer le badminton en découvrant les possibilités qu'offre ce sport pour avoir des interactions avec des filles. Dans tous les groupes d’amis, il y avait toujours un type qu’on voyait parfois dans la rue ou venant en cours portant sa raquette sous le bras en forme de guitare dans un fourreau ou accroché à son dos lorsqu'il arrivait et repartait à vélo. Parfois il avait en sa possession un tube ressemblant à un tube des Pringles mais qui contenait des volants en plastique ou en plumes d'oie qui étaient utilisés pour les compétitions. Il se désistait lors des sorties entre amis, disant: "Mo pa pou kapav vinn dan program, mo ena pou al badminton tanto."
On redécouvrait un intérêt pour le badminton lorsqu’on intégrait le milieu du travail car effectuer quelques échanges au-dessus d’un filet pour se défouler permet de se changer les idées après les heures de bureau, tout en faisant monter son cardio et éventuellement à sculpter son corps. Le badminton était également recommandé à ceux dispensés de faire des efforts brusques et à ceux souffrant d'un problème de surpoids. Kiferr to pa rod enn lacorde to saute sauté ou soit to asté enn raquette to joué impé badminton?
On a tendance à considérer le badminton comme un jeu doux et gracieux évoquant le ballet. Dans les films et les bandes dessinées, on montre souvent les joueurs de badminton habillés tout en blanc et portant des souliers de sport blancs. Le badminton ne déclenche pas la même passion que les jeux plus physiques comme le football ou le tennis car il est difficile d'apprécier la variété technique ou la dimension tactique de cette discipline lorsqu'on suit un match de badminton à la télévision, sans compter que le téléspectateur ne voit pas très bien le volant. Mais la réalité est que le badminton est un sport bien plus physique et intense que son image de sport de loisir ne laisse supposer. Un match de badminton est un combat, surtout lorsqu’on le pratique en compétition. Le but recherché lors d’une joute est d'achever votre adversaire en le travaillant patiemment, le faire courir, l'épuiser jusqu'à ce que qu'il se retrouve dans une position de faiblesse pour finalement l'anéantir d'un coup fatal, le tout avec la férocité qu’une mangouste venant à bout d'un cobra. Lors d’un match, le joueur de badminton est souvent là en position accroupie sur la plante des pieds, les muscles de ses mollets contractés. Ses yeux perçoivent le volant, la position de son adversaire, l'angle de sa raquette, son bras, sa main, ses yeux et ses pieds. Il observe tout et ne laisse échapper aucun détail, prêt à bondir et à frapper. La pointe d'un volant frappée par un joueur de haut niveau lors d'un smash ressemble à un coup de feu, chronométré à près de 200 milles à l'heure.
Le badminton de compétition se joue à 2 ou à 4 joueurs et le but du jeu est de renvoyer un volant avec sa raquette par-dessus le filet, tout en le gardant dans les limites du terrain. Si le volant tombe au sol dans votre partie du terrain, le point va à l'adversaire. Le joueur, ou l’équipe, qui arrive le premier à marquer 21 points, avec au moins deux points d’avance sur les adversaires, remporte le jeu, et la première équipe à remporter deux jeux gagne le match. Si en apparence, les mouvements en badminton peuvent sembler répétitifs, il est surtout question de rapidité, dans la pensée, les réflexes et le jeu de jambes aussi bien que de coordination de mouvements, de puissance, d’agilité, d’anticipation et de vitesse d’exécution. C'est un sport qui fait appel à la stratégie et à différentes techniques telles que le coup droit, la prise en revers, le service haut, le service bas, le service flick, le service drive, le slice, l'amorti et finalement le smash au filet.
Un match typique dure environ 45 minutes. Le joueur couvre 5-6 kilomètres pendant un match de haut niveau, réagit en une fraction de seconde au mouvement du volant, change de direction plus de 350 fois, frappe le volant jusqu'à 400 fois. En guise de préparation, il doit suivre un entrainement ardu qui inclut le jogging, le sprint et la musculation en plus de développer son agilité. À la fin d'un match âprement disputé, certains joueurs n'arrivent plus à tenir debout sur leurs deux jambes. Certains doivent changer de t-shirts plusieurs fois en cours de partie. Et il arrive effectivement aux joueurs de contracter des blessures sérieuses au tendon d'Achille, au bas du dos, aux genoux et au poignet.
L'histoire raconte que le badminton moderne a commencé comme sport parmi les militaires au milieu du 19e siècle en Angleterre et est pendant longtemps resté un sport pour les couches aisées car nécessitant une grande pelouse ou une grande salle avec un haut plafond, ce qui explique l'élégance et le sens de l'étiquette qu'on retrouve aujourd'hui encore dans la pratique de cette discipline. Même s'il n'existe pas de jeu de Badminton sur Playstation, le badminton est le 3e sport le plus pratiqué au monde, après le football et le tennis. C’est le sport national de beaucoup de pays, notamment en Asie.
Le badminton de compétition a pris une place de choix dans le cœur des Mauriciens lorsque les équipes mauriciennes ont raflé toutes les médailles d’or en compétition aux 1er et 2e Jeux des îles de l’océan Indien. Ce succès s’est par la suite poursuivi aux championnats d’Afrique. Le badminton est d’ailleurs une des rares disciplines où les Mauriciens sont régulièrement champions d’Afrique. Le parcours des joueurs tels que Martine de Souza, Shama Aboobakar, Eddy Clarisse, Gilles Allet, Denis Constantin, Abhinesh Dassyne, Stephan Beeharry, les soeurs Sawaram, Amrita et Bhavna, et les soeurs Foo Kune, Karen et Kate, sont des success stories. Ils ont gagné contre des adversaires réputés coriaces, effectué des remontées pour renverser des situations compromettantes, remporté des tournois loin de nos sols dans des conditions pas toujours favorables, et réussi des exploits qui resteront à jamais dans les mémoires.
Chacun de ces champions a à sa manière écrit une page de l’histoire du sport mauricien, une histoire qui parle de la bise du matin lorsqu’ils devaient se réveiller pour aller courir en chemin en bordure de route, au Gymkhana ou à Trou-aux-Cerfs pendant que tout le monde dormait ; des 5-6 heures d’entrainements chaque jour 6 jours par semaine ; des paupières lourdes en classe lors des cours dus à un manque de sommeil ; du repas du soir réchauffé à la micro-onde après avoir raté l’heure du diner en famille en rentrant de l’entrainement ; des bons moments entre amis dont ils ont dû se priver pour pouvoir se concentrer sur la préparation même les dimanches et les jours fériés ; du nombre incalculable d’heures passées à pratiquer en compagnie d'un partenaire, ou parfois seul face à un mur, pour améliorer le poignet, le bras, les doigts et le jeu de jambes ; des amitiés formées avec ceux qu’ils ont côtoyés depuis l'âge de 10-12 ans, avec qui ils ont grandi en partageant les mêmes rêves et traversant les mêmes épreuves, certains qui ont progressé plus vite et d'autres qui se sont blessés et ont dû abandonner, ceux qui ont tout donné mais qui sont passés à côté lors d’un tournoi majeur et qui ont dû être consolés dans leurs désespoirs ; du sentiment d’angoisse au ventre les minutes avant la compétition et de la peur de rater le match et décevoir ceux qui ont placé leur confiance en eux ; des moments de découragement et les conseils et les bons mots des parents et des partenaires ayant plus d’expérience ; des points grappillés pour rester dans le match en refusant de perdre espoir et en s’accrochant ; des chants et l'ambiance survoltée du public venu pour donner de la voix ; du dernier point gagné en puisant dans ses réserves ; des explosions de joie et la délivrance, les embrassades ; de la montée des marches sur le podium ; de la fierté d’entendre "hymne national qui résonne dans le gymnase et du sentiment du devoir accompli vis-à-vis de son pays et de tous les Mauriciens.
Chacun de ces champions a à sa manière écrit une page de l’histoire du sport mauricien, un conte qui a commencé un jour lorsqu’ils ont tenu la raquette magique en main pour la première fois…
Texte original, écrit et raconté par Nanda Pavaday © Tizistwar nou pays