Ces dernières semaines à l’école, au collège ou au bureau, nous avons tous un ami qui ne se joint plus à nous à l’heure du déjeuner, ne participe plus aux fêtes et aux sorties, ni aux matches de foot hebdomadaires parce qu’il est en période de jeûne. Cette volonté de passer une journée entière sans rien consommer et sans succomber à toute forme de tentation, motivé par un attachement à la tradition et la culture est tout simplement fascinant. Chaque année, ils sont 1.4 milliard de personnes à travers le monde qui jeûnent pendant le mois du Ramadan.
Selon la croyance islamique, le mois du Ramadan, ou Ramazan, est considéré comme un mois sain car c’est au cours de ce mois que le livre sacré, le Coran, a été révélé au Prophète Muhammad. Aussi, il est dit que toutes les bonnes actions effectuées au cours de ce mois sont multipliées, de même qu’il est conseillé, durant cette période, de chasser les pensées impures et de ne pas commettre de mauvaises actions comme mentir, proférer des injures et des insultes.
Le Ramadan est le 9ème mois du calendrier lunaire que suivent les musulmans. Il commence, comme tous les autres mois, lorsque la nouvelle lune est aperçue. Aussi, bien avant cette date, les gens essaient de faire des prédictions sur le jour où on la verra. Autrefois, les gens allaient en bateau pour essayer d’apercevoir la lune, il y en qui le font encore à ce jour. Toutefois, il y a des endroits à Maurice où elle peut être aperçue à l’œil nu, comme à la plage sur la côte ouest à Albion, Flic en Flac ou Pointes aux Sables. Pour qu’une personne puisse certifier avoir aperçu le croissant lunaire, il lui faut obligatoirement avoir deux témoins avec lui, comme recommandé par la Jummah Mosque qui communique ensuite officiellement l’information aux musulmans.
Le Ramadan est un mois de sacrifice pour les musulmans et le jour de la fête Eid, ils en reçoivent la récompense. De manière concrète, le mois est marqué par le jeûne qu’on appelle Roza qui consiste à ne consommer ni nourriture ni boisson, y compris l’eau, du lever jusqu’au coucher du soleil. Les gens sont ainsi obligés de se réveiller plus tôt que d’habitude, soit au moins une heure avant le soleil pour manger, ce qui n’est pas toujours chose facile à faire. Le choix se porte sur des nourritures consistantes et nutritives tels le rôti, le pain, le gruau, des bananes cuits dans le sucre et du ghee, connu chez nous comme le mantègue. C’est souvent la maman qui se lève avant tout le monde pour commencer à préparer des rôtis et des currys et du gruau. Ou c’est le papa qui se lève pour aller acheter du pain à la boulangerie. Tout le monde s’active et aide à la préparation car il faut que tout soit prêt pour le repas du matin connu comme le sehri. Toutefois, dans chaque famille, il y a souvent un retardataire qui a du mal à se réveiller et sera toujours le dernier à se présenter à table. Après le repas, il y a la prière obligatoire du matin, qu’on appelle Fajr, à effectuer avant le lever du soleil. Après le Fajr, certaines personnes essaient de dormir pour récupérer de leur courte nuit de sommeil.
Le jeûne du ramadan est le quatrième pilier de l’Islam, il dure jusqu’au coucher du soleil, soit environ 12 heures temps. Les femmes enceintes et les personnes souffrantes sont dispensées de jeûner, ils devront toutefois rattraper les jours non jeûnés plus tard dans l’année lorsqu’ils le pourront. Il y a parfois des enfants qui essayent de garder le jeûne mais n’y arrivent pas toujours, certains le font qu’une partie du temps, soit la moitié seulement.
Le sacrifice pendant le mois du Ramadan ne se limite pas seulement à la nourriture. Un musulman en carême doit aussi faire plus d’efforts que d’habitude pour contrôler ses émotions, sa colère et son langage. Pour les musulmans, le jeûne, quand il est pratiqué correctement et délibérément, n’est pas un acte de pénitence mais une forme d’auto-purification à la fois physique et spirituelle. En changeant ses habitudes quotidiennes, adoptant un nouveau mode de fonctionnement par rapport au sommeil, à la nourriture, à la boisson et au repos, on déclenche un processus de renouvellement du corps et de l’esprit qui conduit à une redécouverte de soi. On apprend également à être plus contemplatif et réfléchi en prenant le temps d’examiner ses actions et ses pensées, de même que ses priorités en relation au dessein divin, faisant la lumière sur les poursuites illusoires qu’on a tendance à accommoder dans sa vie. On apprend la patience et la retenue en se détournant de l’indulgence matérielle et physique et adopte une manière de penser et d’agir au service des autres. Il est ainsi proclamé que quand on a l’estomac vide, on peut mieux ressentir ce que ressent quelqu’un quand il n’a rien à manger ou à boire. On apprécie alors mieux la valeur de la nourriture et des autres bénédictions matérielles dont on jouit à travers la réalité de la privation. Cela amène à éviter le gaspillage et à vivre en tant qu’être humain conscient de l’impact de ses actions, plaçant la charité au centre de sa vie dans un esprit d’unité, en faisant des dons à ceux qui sont défavorisés et dans le besoin.
Pour autant de raisons, la routine de vie et l’atmosphère changent dans les communautés musulmanes mais aussi à travers le pays, durant cette période, on y trouve beaucoup de ferveur et plus de bonnes actions, de prière et de piété. Normalement on évite également de regarder la télévision et d’écouter de la musique. Ceux qui travaillent ne renoncent pas à leurs activités professionelles en dépit du jeûne. Certaines femmes qui sont à la maison occupent leur temps à préparer des pâtes pour des gâteaux qu’elles vont confectionner le soir. Vers 5h, dans des endroits comme Plaines Vertes, on rencontre beaucoup de marchand de petits gâteaux, de gato moutaye, naan et alouda près des mosquées. A la maison, une heure avant la fin du jeûne, chacun apporte son aide pour commencer à tout préparer. Certains commencent à cuisiner les petits plats, d’autres aident à placer la table, d’autres encore préparent les boissons telles alouda et la mousse. Il y a un effort pour apporter de la joie et de la gaieté en variant les gâteaux, par exemple en faisant de sorte que le alouda et la mousse ne soient pas de la même couleur en variant les saveurs : rose, framboise ou amande.
Il y a une sirène qui retentit pour annoncer la fin du jeûne et c’est toujours accueilli par le pratiquant avec beaucoup d’émotions. La rupture du jeûne qu’on appelle le iftar correspond à l’appel à la prière du soleil couchant. Pour rompre le jeûne, on consomme toujours un fruit spécifique, le date, connu chez nous comme le tam, et on boit de l’eau. Ensuite on peut manger des gâteaux, des frites, des naans et boire un verre de alouda et de la mousse. Certaines personnes dinent seulement avec des gâteaux et ne prennent pas de repas. Cette période est surtout un mois de partage. Bien souvent, les musulmans invitent les voisins ou des amis, incluant ceux d’autres fois religieuses, à les rejoindre pour rompre le jeûne. On essaie aussi de s’entre-aider entre voisins et proches, en disant: ‘less mo prépare satini pou ou azordi’ ou ‘talerr mo pou vinn kitt alouda kot ou’. Le soir, après la séance de prières, l’activité sociale est intense. Les familles se regroupent autour de copieux repas constitués de divers plats traditionnels, de veillées, de manifestations culturelles, de causeries religieuses et de programmes de divertissements.
La dernière semaine du Ramadan est marquée par le shopping, on achète des rideaux, des parfums, et des cadeaux pour les enfants, ainsi que des épices pour la cuisine. Une ambiance particulière règne à cette période de la rue Pagoda à Plaine Verte où l’on voit des pils de vêtements accrochés aux portes des magasins.
Les clients, la plupart des femmes, se faufilent dans la foule à la recherche de bonnes affaires dans les magasins où règne une odeur de tissu dans l’air. Il faut penser à ce qu’on portera en soirée le jour de la fête lors des visites à la famille et aussi le matin pour aller assister aux prières. Pour les hommes il y a le thawb ou thobe, cette robe blanche, noir ou bleu aux manches longues, ou le tradionnel kurta. Pour les femmes, il y a le churidar, le tusse, le hijab, le salwar kameez ou le anarkali. On examine le tissus parmi les options en soie, coton ou voile, puis porte son choix sur le modèle et la découpe. On hésite entre les couleurs parmi les options disponibles: noir, fuchsia, vert, jaune, bleu, bleu et or, orange, crème, grenat ou tons pastels ou ocres. Les personnes plus âgées choisissent les couleurs sobres tandis que les jeunes préfèrent les couleurs vives plus tendances. On porte également attention aux petits détails commes les petites fleurs brodées en fils dorés et des paillettes. Finalement il reste à trouver les accessoires que sont les chaussures ou champals, le sac à main, les bracelets, les boucles d’oreilles pour que tout fasse un bon ensemble. Le lendemain, les femmes vont comparer et discuter de celle qui était la mieux habillée lors de ces fêtes. Après les achats, les femmes vont prendre rendez-vous chez le modiste pour faire ajuster leur vêtement. Les modistes, de même que les coiffeurs, sont très solicités en cette période et se retrouvent obligés de travailler jusqu’à fort tard le soir.
Les femmes se font aussi poser des mehendis sur les paumes de leurs mains. L’application du mehendi, cette pâte faite à partir des feuilles de la plante de henné qu’on laisse sécher sur la peau après avoir délicatement fait le dessin de son choix, est un rituel très important qui, outre la beauté de ses motifs en forme de fleurs et papillons entre autres, est sensé apporter la bonne fortune. La dernière semaine du Ramadan est également l’occasion d’organiser des soirées spéciales, de réunions de dévotion et d’invocations dans les mosquées ou dans d’autres lieux.
Le jeûne prend fin lorsque la nouvelle lune est aperçue la nuit du 29ème jour du Ramadan. C’est un événement qui est suivi avec intérêt par les non-musulmans également à cause du jour de congé qui vient avec. Si la lune n’est pas aperçue, le jeûne dure un 30ème jour et la fête est célébrée le jour d’après.
Une fois la proclamation de la visibilité de la lune faite, les préparations peuvent commencer. La maman, aidée par la Dadi et la belle-mère commencent la préparation d’épices pour le traditionnel briani. Elles font frire des oignons et des épices qui embaument les pièces de la maison d’un parfum particulier, le meilleur qui soit. Les hommes, de leur côté, commencent le grand nettoyage dans la cour à coup de Karcher. Les enfants apportent leur aide, tout le monde bouge dans toutes les directions, il y a un constant va-et-vient qui contribue à apporter plus d’ambiance tandis qu’une atmosphère de joie et de célébration s’installe dans la maison.
Dans le calendrier islamique, la fête Eid est célébrée le premier jour du mois de Shawwal, qui suit le mois de Ramadan. En ce jour spécial, les musulmans doivent se rendre à la mosquée pour une grande prière le matin. Avant de sortir, ils prennent un bain rituel et se parent de leurs plus beaux habits comme recommandé en tant que Sunnah pour marquer le caractère spécial de cette journée. Traditionnellement, il est recommandé de manger avant de quitter la maison pour distinguer ce jour du mois de jeûne qui vient de s’achever. En allant à la mosquée, les pratiquants s’échangent des vœux avec les gens qu’ils croisent en chemin. Ils doivent également s’acquitter de la zakat ul fitr, l’aumône de la rupture du jeûne qui est donnée aux pauvres. Après la prière qu’on appelle le Namaz Eid, les fidèles rentrent chez eux en empruntant traditionnellement un chemin différent de celui qu’ils ont pris pour y aller.
Deux ingrédients qui sont toujours présents lors de la célébration d’Eid : le vermicelle et le biryani. Même les familles les plus pauvres font de sorte de pouvoir préparer le biryani. On retrace l’origine de ce plat aux cours royales de l’Empire moghol au Rajasthan, réservé pour les occasions les plus spéciales. Il existe aujourd’hui 15 ou 20 différents types de biryani mais le biryani musulman qui est fait chez nous a une réputation qui n’est plus à faire, il est considéré comme meilleur que même celui qui est préparé en Inde.
Le matin de la fête Eid, il y a la dégustation du traditionnel vermicelle qu’on appelle sewai, des petits gâteaux et du lait badam. Des jouets, de l’argent, et de beaux habits sont offerts aux enfants par les adultes, ces cadeaux sont connus comme le Eidi. Des gâteaux, des vermicelles et du halwa sont distribués aux proches, mais également aux voisins, l’occasion de faire plaisir à autrui sans rien attendre en retour. Ensuite à midi, le savoureux biryani, mijoté dans le gros récipient appelé Deg, est servi et ameute toute la famille par le parfum qu’il dégage. Après le repas, on va rendre visite à la famille, les beaux-parents puis à des amis. Des voeux sont partagés et on se pardonne, se fait des accolades et des bises. On voit beaucoup de sourires sur les visages, parfois aussi des larmes, c’est le jour de fraternité, du pardon et de la réconciliation. Pa gard nanyé dan léker. Tout est fait dans la joie et la bonne humeur.
Texte original, écrit et raconté par Nanda Pavaday © tizistwarnoupays