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Une nouvelle histoire de Nanda Pavaday : le manguier !

Dernière mise à jour : 13 déc. 2019


Aujourd'hui les enfants ne grimpent plus dans les arbres. Autrefois, le pays était peuplé d'arbres, il y en avait dans la cour des gens également, et, lorsqu’on passait en chemin, on voyait des enfants perchés sur les branches d'un arbre, en train de jouer. Parfois, ils construisaient des balançoires en attachant des cordes aux branches et passaient des journées entières à s’amuser à l'ombre.


Dans chaque cour, il y avait des arbres différents, ce qui leur donnait une personnalité unique. Notre voisin était connu comme Missié Jacques, non pas parce que c’était son nom, mais parce qu’il avait un jacquier dans sa cour. Un autre type du coin s’appelait Appanah Longane parce qu’il avait des longaniers dans sa cour. Il était coutume de partager les fruits provenant de sa cour à ses voisins ce qui contribuait à entretenir les relations: "Gett mo inn amenn imper papayes pou ou sorti dépi lor mo pié."

A l'entrée de notre cour, il y avait un grand manguier qui s'élevait dans le ciel, au-dessus des toits de toutes les maisons de la localité. Cet arbre était un point de repère pour les gens habitant le coin, ils disaient: "Kan to rentt dan avenue Doyen, li 2ème lakaz après pié mangue".






Quand on était petit, on avait un peu l'impression que notre manguier veillait sur nous. Lorsqu'on rentrait à la maison en sortant de l’école ou revenait après une visite chez notre grand-père qui habitait dans le sud, on voyait au loin apparaître le faîte de notre manguier et étrangement cette vue nous rassurait. On disait : "Nou pré pou arrive lakaz aster."


A l'arrivée de l'été, le manguier se couvrait de fleurs et à partir en novembre, les branches étaient remplies de fruits. A part mon grand-frère, personne ne savait grimper dans cet arbre tellement il était grand. On utilisait une gaulette en bambou pour cueillir les mangues. Il fallait le faire avec une certaine technique, en utilisant le bout du bâton de bambou pour accrocher la tige de la mangue et la tourner de manière à la casser tout en gardant le fruit accroché au bambou pour ne pas qu'il tombe par terre et se blesse. Quand les mangues étaient vertes, ma maman les découpait et les plaçait dans des grands bols plats et les laissait sécher au soleil pour ensuite les utiliser pour confectionner des achards qu'elle gardait ensuite dans des pots. Sinon, on laissait les mangues mûrir sur l'arbre pour les cueillir lorsqu'elles sont prêtes. Avant, il fallait éplucher la mangue et la découper en trois, le noyau plat du milieu d'un côté et les deux côtés plus épais de la mangue qui sont appelés les joues de l'autre. On demandait alors: "Ki to envie manzé, lazou ou soit loyo?"


Lorsqu’arrivait la saison des grandes cueillettes, mon grand-frère grimpait dans l'arbre et cueillait les mangues en des grappes qu'il mettait dans une tente rafia. On faisait alors la distribution avec les voisins et les oncles et tantes. Parfois certains de nos parents qui habitaient à l'extérieur nous écrivaient pour nous dire dans des airmails: "Dirr to mama kan li ferr zachard, avoy imper pou moi." De cette manière les mangues de notre manguier voyageaient jusqu'en France et en Angleterre.


Une année, lorsque nous avons reconstruit notre maison, on a dû finalement du abattre le grand manguier pour faire de la place. Tout d'un coup nous avons ressenti comme un grand vide dans notre cour mais aussi dans notre coeur. Mon petit-neveu qui avait 5 ans a versé des grosses larmes en assistant à la scène. Pendant longtemps, il est resté traumatisé et disait: "Bann gros camion inn vinn coupe nou pié mangue."

Au milieu de notre cour, à coté de notre maison, il y avait un jambalaquier. Souvent après l'école, on grimpait dans l'arbre avec notre pain a la main pour s'asseoir sur une des branches et le manger. Parfois, on apportait également avec nous notre gobelet de thé. Le pié zambalak était à un point stratégique dans la cour. Assis sur la branche, on avait une vue sur la fenêtre de la cuisine et pouvait voir ma maman occupée à ses tâches. On pouvait également, à partir de l’arbre, regarder passer les gens dans la rue, les enfants allant à la boutique et les voisins revenant du travail. Ce point de guet nous permettait ainsi de savoir à l’avance lorsque des gens venaient nous rendre visite et on criait, "Maa, fami pé vini."


Le jambalaquier rapportait des fruits en forme de petites poires rouges avec une chair blanche qu'on cueillait pour préparer des salades avec disel pima. Le sol sous le jambalaquier étaient souvent jonché de fruits rouges tombés pendant la nuit qu'on devait balayer chaque matin. A l’arrière de la cour, il y avait également un pié letchis dont les feuilles n’arrêtaient pas de tomber à longueur de l'année et qu'on devait aussi balayer. Les dimanches, en sortant du travail, mon papa aimait se reposer en plaçant sous l'arbre une natte, faite à partir de brins de roseau entrelacés, pour s'allonger dessus et faire un petit somme tout en écoutant à la radio la retransmission des courses des chevaux du Champ de Mars ou des matches de foot du stade George V. Parfois il installait une table sous l'arbre et on jouait des parties de dominos ou de carrom.

En ce temps, les chauves-souris ne s'attaquaient pas autant aux fruits et le soir, c'était nos poules qui grimpaient sur les branches de l'arbre pour se coucher. En décembre, le pié letchi était toujours rempli de fruits juteux à la chair savoureuse. A la vue des branches remplies de fruits rouges, les marsans letchis s'arrêtaient en chemin pour nous demander si l'arbre était à vendre. Toutefois on ne vendait pas ces letchis car c'était notre fierté. On les cueillait pour les manger le soir lorsque la famille regardait la télévision et on offrait le reste en cadeau aux voisins. Un jour mon frère a fait une chute lorsqu'une des branches, surchargée de fruits, s'est cassée et a cédé sous son poids, et il s'est fait mal au bras.


avait également des rangées de bananiers dans la cour, portant fièrement des grandes mains de bananes, dont les feuilles vertes étaient utilisées pour servir le fameux 7 currys lor fey banane lorsqu'il y avait des cérémonies religieuses ou des réceptions de mariages, de même qu'un goyavier et un papayer. Lorsqu'on jouait à kook cachiette avec mes frères, mes cousins, mes cousines et les voisins, une personne se tenait contre le pié papaye et comptait jusqu’à 100 tandis que les autres allaient se cacher, souvent dans les arbres, soit le pié zambalak, le pié letchis ou le pié goyave.


Tous ces arbres fruitiers faisaient qu'on ne manquait jamais de fruits chez nous. Le seul arbre qui ne rapportait pas de fruit était un avocatier que mon papa avait planté dans un coin de notre cour. Les gens qui venaient nous voir nous demandaient pourquoi cet arbre ne rapportait pas de fruits. Un jour, quelqu'un nous a dit qu'il nous fallait faire une prière le jour de l'éclipse pour que l'arbre commence à rapporter. Il fallait prendre une serpe et faire semblant de couper l'arbre et lorsque quelqu'un te demandait pourquoi tu voulais abattre l'arbre, tu devais répondre que c'était parce qu'il ne rapportait pas et que finalement tu allais lui donner une dernière chance.


Mon petit-frère et moi, nous nous sommes prêtés au jeu, sans trop y croire et, étonnamment, cette année-là, un premier fruit est apparu sur l'arbre. À partir de ce jour, matin et soir, 7 paires d'yeux regardaient ce seul fruit sur l'arbre, attendant qu'il soit mûr pour que nous puissions le goûter. Puis un jour, mes frères et moi sommes revenus de l'école et l'avocat n'était plus là. Nous sommes allés demander à ma maman où est passé le fruit et elle nous a dit que pendant la journée, une dame, qui vivait près de chez nous, est venue lui demander si elle pouvait avoir l'avocat pour sa mère qui était malade à l'hôpital. Ma maman le lui a donné sans aucune hésitation.

En ce temps-là, partout il y avait un esprit de partage. Les gens ne vivaient pas isolés, refermés sur eux, ils avaient des connexions avec la nature, ce qui les emmenait à vivre en communion avec leur entourage. C'est comme ça que cela se passait.


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